Préambule
A la conférence IAB de Paris à l’automne 2015, le sujet autour duquel se concentraient toutes les crispations était celui des adblockers*. En effet, le manque à gagner estimé pour les acteurs de la publicité numérique était de 21,8 milliards de dollars en 2015, soit 15% des revenus globaux du secteur.
Depuis, l’IAB a fait son mea culpa et a publié une charte de bonnes pratiques dans le cadre de la Coalition for Better Ads (CBA).
Google, avec son navigateur Chrome, a annoncé récemment rejoindre la Coalition for Better Ads. Concrètement cela veut dire qu’à partir de 2018, Google va activement tracker les publicités intrusives et non désirées à travers son navigateur.
En juillet 2015, Google avait déjà bouleversé les standards de la publicité en ligne, en bloquant Flash – technologie la plus utilisée pour développer les formats pub jusqu’à alors. Les raisons évoquées à l’époque étaient de réaliser des économies de batterie et de réduire la consommation de ressources. Google récidive donc en dictant à nouveau aux acteurs de la publicité digitale les règles à suivre.
PS : certains liens partagés dans cet article permettent d’illustrer nos propos et peuvent nécessiter que vous désactiviez Adblock, le temps de la lecture.
Les faits
Le principe est simple : en analysant les retours des utilisateurs et leur rejet de certains formats mobile ou desktop, Google configurera son navigateur Chrome pour qu’il bloque toutes les publicités d’un site si au moins l’une d’entre elles ne répond pas aux critères définis par Google ou si elle enfreint certaines “règles évidentes”. Par exemple :
- Elle fait appel à des logiciels malveillants ou indésirables qui peuvent être installés sur l’ordinateur de l’internaute
- Elle conduit à une tentative d’hameçonnage
- Elle vise à tromper l’internaute pour l’inciter à télécharger un logiciel (malveillant ou non), ou à installer un logiciel malveillant ou indésirable
- Elle entraîne une redirection automatique sans intervention de l’internaute
- Elle fait intervenir des composants qui prêtent à confusion (tels qu’un bouton de fermeture qui ne ferme pas l’annonce, mais qui effectue un clic sur cette dernière ou renvoie vers un autre contenu)
- Elle présente un contenu trompeur destiné à piéger l’internaute. Par exemple, l’annonce peut sembler correspondre à un message système tel qu’un bouton de mise à jour.
De plus, certains formats jugés trop intrusifs seront à éviter au risque de voir ces formats bloqués par Google.
Sur desktop, on parle des publicités vidéo en autoplay avec le son, des interstitiels avec décompte du temps, les publicités grand format et les pop-up.
Sur mobile on peut ajouter les publicités plein-écran scrollables, les animations clignotantes etc.
Concrètement, comment cela va fonctionner ?
Les robots de Google scannent en permanence tous les sites pour les référencer. Ils scanneront également leurs encarts digitaux pour trouver les intrus et, s’il y en a, prévenir l’éditeur du site concerné. Celui-ci aura alors 3 mois pour effectuer les changements nécessaires et resoumettre son site à Google. Si rien est fait, le site sera référencé comme ayant des publicités intrusives ou ne respectant pas les critères énoncés ci-dessus et celles-ci seront donc automatiquement bloquées sur Chrome (source : https://support.google.com/webtools/answer/7072706).
Pour les annonceurs, il faudra donc éviter d’utiliser ces formats intrusifs et respecter les règles de la CBA. Ou alors, ne pas en tenir compte et se concentrer sur les autres navigateurs concurrents de Chrome. En effet, Chrome n’est pas le seul navigateur. Mais il représente plus de 60% de parts de marché des navigateurs web… Passez outre les recommandations de la CBA revient donc à condamner une grande partie de sa campagne digitale : peu de chance pour que les annonceurs y trouvent leur compte.
Notre rôle à nous, agences et studio de production
Les agences – agences médias, studios de production – partenaires des annonceurs, auront un devoir de sensibilisation et de pédagogie auprès de leurs clients. C’est à elles de veiller à ce que les bonnes pratiques soient respectées (en conseillant les bons formats dans leurs plans medias par exemple). Certaines de ces règles existent déjà mais ne sont pas toujours prises en compte (comme le son off par défaut sur une vidéo en autoplay).
Avec la nouvelle charte, il faudra donc redoubler de vigilance sur ce point. Les adservers* ont d’ailleurs commencé à mettre à jour leurs catalogues et devront sûrement encore supprimer certains formats comme les interstitiels.
L’intérêt pour les utilisateurs est qu’ils auront une meilleure expérience de navigation et qu’à terme, ils pourront choisir de faire confiance à Google en désactivant ou supprimant leur adblocker.
Mais alors, l’objectif de Google serait de protéger l’internaute des publicités intrusives et malveillantes ? Google (enfin Alphabet) serait-elle devenue une grande multinationale philanthropique ?
Pas si sûr. En regardant de plus près, on se doute que la manœuvre ici n’est pas que le confort de navigation des internautes et leur sécurité sur le web. En effet, il faut savoir que Google tire 90% de ses revenus de la pub.
Donc Google, en sélectionnant les pubs et les formats qui seront diffusés, répond d’une part au mécontentement des utilisateurs quant au trop plein de publicités sur internet, et d’autre part, mise sur le fait qu’ils vont se détourner des adblockers pour lui faire confiance. Et la firme de Mountain View devrait donc retrouver les profits perdus à cause des bloqueurs de publicité.
Pour autant, Google ne se tire-t-elle pas une balle dans le pied avec cette stratégie ?
Le géant du net tire une grande partie de ses revenus grâce, entre autres, aux preroll* et midroll* qui sont lus avant ou pendant une vidéo sur Youtube et pour lesquels nous devons attendre quelques secondes voire la lecture complète de la pub avant de pouvoir zapper. Ces formats sont aujourd’hui vivement critiqués par les utilisateurs et Google a compris qu’ils ne convenaient pas.
De plus, Google via DoubleClick* propose dans sa librairie certains des formats rejetés par la Coalition. Est-ce que Google va proposer d’autres alternatives pour pallier à ces formats invalidés, comme elle a développé Google Web Designer pour produire des bannières avec une timeline à la manière de Flash ?
Chez Adfab, nous sommes déjà très sensibles aux normes en vigueur et à leurs évolutions. Par exemple, nous travaillons étroitement avec Google où nous faisons valider via le QA (assurance qualité) tous les formats que nous produisons pour une campagne diffusée par DoubleClick.
Avec cette évolution majeur du display, notre mission de conseil va s’intensifier : à nous d’accompagner les annonceurs et agences médias dans la réalisation de formats respectueux de ces (futures) bonnes pratiques. Ce changement va également pousser les agences à relancer l’innovation : les publicités doivent être immersives et en corrélation avec le contenu du site qui les diffuse. C’est en ce sens que nous sommes en train de lancer une sous-division R&D au sein de notre pôle display, avec quelques formats innovants à venir…
Conclusion :
D’un point de vue purement créatif, la CBA va tuer des formats intéressants à produire, certes intrusifs, mais très créatifs comme les home-page take over, les page-grabber…
La solution serait qu’ils soient obligatoirement lancés par l’utilisateur et ne déclenchent plus automatiquement à l’ouverture de la page.
On peut se consoler en se disant qu’avec l’avènement du mobile-first, ces formats étaient de toute façon amenés à disparaître car non compatibles avec ce support.
Mais au final, ce qui compte, c’est l’expérience utilisateur : avec ces nouvelles normes on peut espérer que l’approche user-centric, si importante mais tellement peu effective dans la réalité, prendra un peu plus de sens.
Lexique
Adblocker : logiciel ou module incorporé au navigateur d’un internaute, permettant de bloquer les publicités intempestives
Adserver : serveur / logiciel de gestion de campagnes publicitaires sur Internet qui permet de gérer et programmer l’affichage dynamique des objets publicitaires dans les espaces prévus sur les pages ou applications supports et qui fournit les statistiques de campagne qui peuvent être consultées par les différents acteurs concernés (agence, annonceur, support, régie, etc.)
Preroll : format publicitaire vidéo sur Internet qui consiste à afficher le message publicitaire vidéo pendant quelques secondes avant la visualisation d’une vidéo de contenu
Midroll : format publicitaire vidéo d’une durée de quelques secondes, généralement entre 10 et 20 secondes, qui s’affiche au milieu d’un contenu publicitaire consulté par l’internaute
DoubleClick : régie publicitaire rachetée par Google en 2007, spécialisée dans le ciblage comportemental sur Internet